Exilé républicain à Bobigny, Daniel Serrano, âgé de 91 ans, se bat pour réhabiliter la mémoire de son frère Eudaldo, fusillé en 1941 à l’issue de la guerre civile espagnole. Malgré ses démarches répétées, la figure de ce frère n’est toujours pas reconnue dans ce village tolédan, où la mairie se refuse aussi à débaptiser les rues qui exhibent encore une toponymie franquiste.

Exaspéré par la passivité des autorités espagnoles, Daniel décide d’agir seul. Sa lutte est le combat d’un homme au seuil de la mort qui, malgré les pactes de silence et d’oubli qui caractérisent l’Espagne contemporaine, a décidé de ne pas s’avouer vaincu.

Dossier pédagogique du film ici >>>

Commencé comme le portrait d’un vieil exilé républicain en France, le documentaire Ne pas s’avouer vaincu de Susana Arbizu et Henri Belin propose en fait une réflexion à portée universelle sur le rapport de la démocratie espagnole à sa mémoire.
Daniel Serrano (91 ans aujourd’hui) pourrait couler une retraite tranquille et bien méritée dans son petit pavillon de banlieue de Bobigny (Seine Saint-Denis), entre son jardin, ses souvenirs et ses quelques amis espagnols encore vivants. Mais il est taraudé par une immense injustice, dont il a fait un véritable combat personnel : la réhabilitation de la mémoire de son frère Eudaldo, fusillé en 1941 à l’issue de la Guerre Civile Espagnole, comme tant d’autres cadres et militants de la IIème République. Malgré les démarches répétées de Daniel, la figure de ce frère, maire-adjoint du Front Populaire, n’est toujours pas reconnue dans le village tolédan de La Torre de Esteban Hambrán, dont la mairie se refuse également à débaptiser les rues et édifices publics qui portent encore le nom de personnalités franquistes.

Le film de Susana Arbizu et Henri Belin déconstruit l’image sans doute idyllique que l’on peut avoir en France de la transition démocratique espagnole (à partir de la mort de Franco en 1975), souvent associée à la libération culturelle (la fameuse movida madrilène dont est issu le cinéaste Pedro Almodovar) et à l’entrée de l’Espagne dans la Communauté Économique Européenne (1985). Or cette transition démocratique, vantée et exportée (notamment en Amérique Latine) comme un modèle exemplaire et indépassable d’avènement pacifique de la démocratie, s’est mise en place au prix d’une forme d’amnésie vis-à-vis des crimes franquistes et de leurs victimes, dont l’acte fondateur fut l’amnistie des responsables de la répression. Aujourd’hui encore, plus de 30 ans après la mort de Franco, alors que l’on ne cesse, -tant bien que mal- d’exhumer de nouvelles fosses communes et que l’on découvre bon nombre d’aspects du régime jusque là ignorés, la symbolique franquiste est encore très présente dans bon nombre de villes et de villages, la plupart des manuels scolaires survolent les épisodes de la République espagnole et de la guerre civile, et les institutions ne cessent d’entraver les efforts des associations ou de personnes isolées qui tentent aujourd’hui de combler ce déficit de mémoire. En dépit du vote de la Loi dite de la Mémoire Historique en octobre 2007, de multiples initiatives de ce genre continuent de se heurter à l’hostilité, voire l’indifférence des institutions qui ne souhaitent pas revenir sur ce passé douloureux de la guerre civile.
La politique du déni, menée par le gouvernement socialiste de Zapatero de 2004 à 2011, s’est accentuée encore un peu plus suite à l’écrasante victoire électorale du Parti Populaire le 20 novembre 2011 et l’investiture comme premier ministre de Mariano Rajoy. L’initiative avortée du juge Garzón destinée à mettre en procès les responsables du franquisme pour crimes contre l’humanité (Octobre 2008) et la levée de boucliers qu’elle a suscitée, n’ont fait que confirmer la frilosité de l’état espagnol à l’égard de cette question.
Face à ce processus d’amnésie volontaire et collective, la mémoire ne peut donc subsister qu’en chacun des individus ayant vécu cette période. C’est une mémoire forcément partielle et morcelée, souventde transmission orale, dont la précarité constitue l’une des raisons d’être du film. Comme l’illustre le cas de Daniel Serrano, elle est aujourd’hui menacée en raison du vieillissement et de la disparition progressive de ses protagonistes, qui meurent, pour la plupart, sans avoir obtenu la moindre réparation ou réhabilitation morale.

A l’origine de Ne pas s’avouer vaincu, une rencontre, celle des réalisateurs Susana Arbizu et Henri Belin, enseignants à Paris, avec Rose-Marie Serrano, la fille de Daniel, qui souhaitait des enregistrements audio de son père pour que ses souvenirs ne disparaissent pas avec lui. Très vite, du fait de la personnalité de Daniel Serrano et de l’ampleur de son témoignage, s’est imposée l’idée de faire un documentaire sur la récupération de la mémoire historique en Espagne et la réparation des crimes franquistes.

Mémoire historique, mémoire du silence

Pour Henri Belin, même si la Guerre Civile est omniprésente dans la littérature et le cinéma espagnols de ces dernières années, il est révélateur que le meilleur film sur le sujet soit étranger : Land and freedom, du britannique Ken Loach. D’après lui, cette multiplication des œuvres et des témoignages est due au fait qu’il n’y a pas de consensus sur le sujet en Espagne, seulement des enjeux de pouvoir. Il existe certes beaucoup de recherches universitaires sur la mémoire, mais celle-ci n’occupe aucune place publique et reste absente du discours majoritaire. La Loi de Mémoire Historique votée par le gouvernement de Zapatero en 2007 a été la loi du moindre coût, comme c’est souvent le cas lorsqu’on légifère sur des sujets polémiques. S’ensuit de ce manque de volonté politique une mise en concurrence des mémoires, et des démarches uniquement individuelles ou associatives, comme on peut le constater dans le documentaire à travers les témoignages d’Emilio Silva, président de l’ARMH (Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica).

Ne pas s’avouer vaincu souligne également le rôle capital qu’a joué la transition démocratique dans cette amnésie collective, qu’elle a organisée sciemment, créant de ce fait des tensions toujours vives aujourd’hui. D’après Henri Belin, l’une des victoires de Franco est d’avoir réussi à faire oublier la violence et la terreur de son régime. Ce serait à l’Etat de mettre en place des commissions d’historiens, mais il y a un énorme blocage politique de la droite, héritière du franquisme. Quant à la gauche, elle n’ose pas, sa position pendant la transition ayant été des plus ambiguës.

Ainsi, malgré les démarches répétées de Daniel, la figure de son frère Eudaldo n’est toujours pas reconnue à La Torre, où la mairie, pourtant socialiste au moment du tournage, refuse de débaptiser les rues et édifices qui exhibent encore une toponymie franquiste : calle José Antonio, calle de los Mártires, Colegio Juan Aguado (chef local de la Phalange à l’époque)… Henri Belin raconte qu’en filmant des plans de coupe au Cimetière de l’Est, à Madrid, ils ont découvert par hasard les tombes de membres de la Légion Condor, responsable entre autre du bombardement de Guernica en 1937. C’est uniquement parce que l’ambassade d’Allemagne est intervenue que l’Espagne a effacé la stèle à leur gloire, encore présente au moment du tournage.

Langues : Français

Éditions / Sélections :

Genres : Documentaire

Réalisateurs : Henri Belin|Susana Arbizu

Scénaristes :

Producteurs : Les Films de La Chambre Noire

Distributeurs : Les Films de La Chambre Noire

Pays de production : France – Année de production : 2012

Formats : DCP

Types de colorisation : Couleur

Version : VOST FRANÇAIS / Espagnol|Français

Version sous-titres : Francais

Chefs opérateurs : Henri Belin|Susana Arbizu

Ingénieurs son : Henri Belin|Susana Arbizu

Compositeurs :

Monteurs : Mauricio Hernández

Comédiens :

Prix et distinctions :

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