Depuis 2009, le Festival de cinéma de Douarnenez a ajouté une thématique à son festival : LE MONDE DES SOURDS·ES

Au fil des années, cette thématique est devenue l’une des sélections récurrentes du Festival, au même titre que les sélection Grande Tribu ou Jeune public. En abordant le Monde des Sourds, le Festival a entamé une réflexion sur l’accessibilité de l’ensemble du festival au public sourd. Ainsi et progressivement, le festival de cinéma de Douarnenez est devenu quasiment intégralement accessible aux personnes sourdes.

Au-delà de la programmation de films, d’expositions et de débats thématiques, l’accessibilité au Festival, c’est :
  • Le sous-titrages des films en version française ou en version sous-titrée sourds et malentendants.

  • La présence d’interprètes professionnels sur tous les temps de rencontres, débats, palabres, discussion après-films, vernissages, cérémonies…et disponibles de façon permanente pour d’autre besoins tels que des entretiens journalistiques, des discussions informelles ou autre.

  • L’engagement bénévole sur différents secteurs et de plus en plus nombreux, notamment dans des organes de communication, tels que le journal vidéo Canal ti Zef.

  • Des ateliers, café-signes, rencontres, et cours de LSF.

  • La présence d’un public sourd qui, de plus en plus nombreux viennent accompagner les habitués, au point que le Festival est devenu l’un des rendez-vous annuels de la culture sourde

  • Et plus que tout, la possibilité de la rencontre: Invités, publics, bénévoles, Sourds, interprètes, locuteurs en LSF ou entendants…Avec des liens évidents et parfois surprenants, entre les peuples invités.

Du lien

Les Sourds et les Intersexes se sont ainsi rencontrés, depuis 2012, leurs expériences communes liées à l’hyper médicalisation subie et vécue les a rapproché et liés dans leurs combats  pour la reconnaissance et l’affirmation de leur différence.

La communauté sourde a donné à connaitre la violence de sa réalité, la systématisation des chirurgies chez les enfants sourds pour leur mettre des implants cochléaires afin de les rendre « entendants » et ensuite leur faire vivre ces acharnements pédagogiques, consistants à leur faire reproduire les sons en imitant la gestuelle buccale afin de les pousser dans le monde « normal entendant ».

Quant aux Intersexes, c’est durant l’enfance que la société, les parents, le monde médical décident de leur attribuer un genre et pour ce faire de les pousser là aussi dans un sexe, de leur faire pousser et d’accentuer des attributs sexués types, à coup d’opérations, de mutilations et de traitements médicaux…

Dans tous les cas, c’est l’extérieur qui impose une norme aux enfants, sans nécessairement de malveillance de la part des parents qui bien souvent, démunis, sans connaissance sur le sujet et parfois mis en situation d’urgence face à des décisions irrémédiable suivent une ligne dictée par d’autres,  le corps médical ou la société qui érige des principes par méconnaissance ou mépris des réalités multiples et des possibilités d’être, des Êtres, pour être-au-monde de façon différente, entre êtres différents, dans la différence, avec l’autre, un autre non égal, avec Soi, avec MOI….

Les mains prennent la parole

« Les Sourds sont très souvent frileux lorsqu’on leur propose des projets organisés par des entendants », relatait Laetitia Morvan, présidente du Collectif des sourds en Finistère, en 2014.

À force de questionnements et d’interrogations, l’altérité s’est révélée; surprenante d’abord, puis généreuse et pleine d’humour. Au fil des ans, le focus est devenu section. La communauté sourde, un réel partenaire tant dans la conception que dans la médiation. Le Festival de cinéma de Douarnenez est aujourd’hui l’événement culturel de référence pour la population sourde de France. Pour chaque édition, l’exploration de ce monde où les mains ont la parole se poursuit : projections de films documentaires et de fictions, rencontres professionnelles, ateliers d’initiation à la Langue des signes françaises (LSF), accessibilité de la quasi-totalité des rencontres en salles et sur la place, permanence d’interprètes LSF volontaires.

En parallèle, le Festival pousse la réflexion initiée depuis 2009 et permet la rencontre entre Sourds et Intersexes. Au cœur de ce rendez-vous important de la 38e édition : la question de l’identité, du rapport à l’autre et au monde standardisé mais aussi du droit à la différence.

Autre champ d’expérimentation, la création artistique sourde avec la programmation de lectures et de concerts signés. Ces initiatives, imaginées avec les interprètes LSF, les artistes et le Collectif des Sourds en Finistère ponctuent chaque été la durée du festival. La culture sourde, partout et pour tou(te)s !

Les représentations des Sourds·es vis-à-vis des interprètes hier et aujourd’hui

Article extrait d’un entretien avec Marie Thérèse L’Huillier pour la revue des interprètes LSF/F « double sens » publié en décembre 2014.

Marie-Thérèse L’Huillier, sourde, est issue d’une famille de sourds locuteurs de la langue des signes française (LSF) et pratiquant la langue des signes de l’institut départemental Gustave Baguer d’Asnières-sur-Seine. Actuellement ingénieure d’études au CNRS, elle est rattachée à l’équipe « langue des signes et gestualité » (LSG).

Au moment de l’émancipation sociale, linguistique et culturelle de la communauté des sourds à partir de  1975, les signes conceptualisant la « langue des signes française (LSF) », la « communauté/ culture sourde » et les « interprètes » n’existaient pas encore.
Avant le XXe siècle, la LSF était pratiquée et transmise naturellement entre pairs, par des sourds, à l’internat  et dans les familles sourdes, mais les sourds eux-mêmes n’avaient pas conscience du véritable statut  linguistique de la LSF, pourtant identique aux autres langues…
Ce n’est qu’à partir de 1980, que le signe pour « interprète en LSF » a commencé à être utilisé peu à peu, avec l’assimilation progressive par les sourds du concept de « LSF », et aussi à la suite de l’engagement d’entendants interprétant les échanges entre sourds et entendants pour l’accès à la parole des sourds.
Pendant 37 ans, j’ai vu de mes propres yeux le développement de l’affirmation progressive de l’égalité du statut linguistique des sourds, de la professionnalisation du métier d’interprète, de l’évolution linguistique de la LSF et de l’essor de la création lexicale en LSF (auquel j’ai participé). Aujourd’hui comme hier, la LSF, les usagers sourds et les interprètes sont indissociables et s’influencent mutuellement grâce aux échanges entre leurs deux communautés – celle des sourds et celle des interprètes -, mais aussi lors même des situations d’interprétation (en conférence, dans le milieu social, dans les médias, dans le domaine culturel, à l’université, dans le secteur technologique, etc.).
Au début, l’admiration des entendants devant la belle langue des sourds et leur désir de l’apprendre ont  beaucoup flatté les comédiens sourds d’IVT (International Visuel Théâtre, troupe professionnelle actuellement basée à Paris). Certains d’entre eux étaient fiers de leur enseigner leur langue. Mais d’autres ressentaient des difficultés, non à cause de leur manque d’expérience de l’enseignement de la LSF, mais plus particulièrement parce qu’ils s’inquiétaient des conséquences qui allaient en découler. Rappelons que, dans le cadre de l’éducation oraliste, pendant un siècle (de 1880 à 1980 environ) les sourds étai-

ent punis lorsqu’ils utilisaient la LSF et leur comportement était sévèrement jugé et stigmatisé. Cette attitude a marqué négativement la LSF et les sourds sur plusieurs générations. À cette époque la  communication entre les deux mondes, celui des sourds et celui des entendants, était difficile à cause des barrières linguistiques et culturelles.
Au départ, toujours dans le début des années 1980, les sourds étaient satisfaits de la présence des interprètes qui rendaient possible l’égalité de parole et les échanges intellectuels, culturels, administratifs, politiques, dans le domaine de la santé ou autres, entre sourds et entendants. Au fur et à mesure, ils se sont mis à émettre des jugements sur le niveau de compétence en LSF des interprètes et à constater leurs limites, car il n’y avait pas encore de formations ni de diplômes et la profession n’était pas encore reconnue.
Les sourds se sentaient dévalorisés. En même temps que nous nous sommes posé des questions sur les compétences linguistiques de ces premiers interprètes, nous nous sommes interrogés sur les méthodes d’enseignement de la LSF.
Bien que, sur le plan de l’enseignement, pour ces premiers professeurs sourds le manque de prédécesseurs sur qui s’appuyer, d’outils, d’ouvrages et de conseils pédagogiques se soit cruellement fait sentir, les sourds ont beaucoup encouragé le développement du métier d’interprète.
Malheureusement, aujourd’hui, les relations entre sourds et interprètes ne sont plus les mêmes  qu’auparavant. Les interprètes d’autrefois sont progressivement remplacés par des personnes sans liens directs avec le monde de la surdité, ni enfants de parents sourds, ni professeurs, ni orthophonistes, ni  éducateurs. Parallèlement, les sourds militants d’autrefois exerçant un métier manuel (comme dactylo, couturière, menuisier, peintre…), sont devenus de plus en plus professionnels et de plus en plus distants avec les entendants. Ces derniers ont donc plus de difficultés à rencontrer des sourds dans des associations, pendant des conférences ou dans des bars « café-signes » pour leur immersion linguistique et pour pouvoir pratiquer la langue.
Je me demande si l’application trop stricte du code de déontologie, et notamment de l’article concernant la neutralité – l’interprète ne peut intervenir personnellement dans les échanges – n’a pas influé sur cette  distanciation.
Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que le mouvement des sourds en France en faveur de la défense (et même l’exigence) de l’unité linguistique et de l’uniformité de l’enseignement, ainsi que de l’usage, de la LSF par les interprètes a été une révélation à l’époque.

Après plus de 30 ans de lutte incessante menée par les deux communautés (sourds et interprètes) pour la reconnaissance de la LSF et du métier d’interprète, on pourrait penser qu’aujourd’hui l’image des interprètes auprès des sourds s’est améliorée.
Or ce n’est pas le cas, car les jeunes sourds d’aujourd’hui ne forment pas un groupe homogène.
Certains utilisent la LSF, d’autres le langage parlé complété (LPC), d’autres encore le français signé ou sont oralistes. Et leur nombre est actuellement plus important que la communauté sourde traditionnelle.
Les décisions politiques, comme la loi 75-534 du 30 juin 1975 (notamment à son article 4, qui encourage l’intégration dans les écoles ordinaires au détriment de la scolarisation en internat) ont eu pour effet de créer une scission entre les sourds et la LSF. Les grands internats de jadis ont désormais disparu, ce qui a occasionné une rupture dans la transmission de la LSF entre sourds, mais aussi de la transmission de l’histoire des sourds et de la culture auprès des jeunes. La majorité des jeunes sourds d’aujourd’hui n’ont pas de contact avec la communauté traditionnelle des sourds, ni avec la LSF. Récemment, la loi 2005-102 du 11 février 2005 a déclaré que tout élève concerné devait pouvoir apprendre la LSF. Mais  pour ce faire, elle a laissé la porte du CAPES de LSF ouverte aux entendants.
Dans sa conférence présentée le 22 octobre 2008 à l’université Paris 8 lors du colloque « L’accessibilité aux études et à la citoyenneté », Christian Cuxac a évoqué le fait qu’aujourd’hui la surdité est gommée de toutes ses références : la LSF est désormais aussi bien la langue des entendants que celle des sourds. Plus exactement, le fait d’être sourd ne signifie plus faire partie d’une communauté linguistique et culturelle.
Comment faire pour changer cela ? Je pense qu’il faut revenir 30 ans en arrière et faire comme aux temps de la mobilisation des sourds en faveur de la LSF : sensibiliser ces jeunes sourds aux fondamentaux de la LSF et au rôle des interprètes.
Mais qui pourrait se charger de cette sensibilisation sur le métier d’interprète, l’association française des  interprètes et traducteurs en langue des signes (AFILS), la fédération nationale des sourds de France (FNSF) ? Et comment les interprètes vont ils se positionner face à l’hétérogénéité des sourds d’aujourd’hui ? Vont-ils  devoir modifier leur rôle et leur statut pour s’adapter aux choix linguistiques des sourds ?
Si la LSF disparaissait, logiquement les interprètes aussi, car le destin des sourds et celui des interprètes sont indissociablement liés.

Retrouvez les lexiques LSF et les cartes postales illustrés par Marianne Larvol